Association de l’UDAF
 APF France Handicap

«Des vies empêchées, pas des vies impossibles»

Interview : L’histoire de l’APF de la Manche commence dans les années 70 et s’est concrétisée plus récemment avec le développement des services. L’association milite pour une société inclusive. Rencontre avec son représentant régional et départemental, Frederik Lequilbec.

Qu’est-ce que l’APF ?
L’APF est une association à deux volets. C’est un mouvement associatif militant, et une association gestionnaire de services avec notamment les SAVS SAMSAH (Service d’Accompagnement Médico-Social pour Adultes Handicapés) et notre nouveau service Mand’APF qui propose d’assurer le rôle de mandataire pour les particuliers souhaitant embaucher des salariés assistant de vie. Nous sommes présents sur l’ensemble du territoire Manchois.

Combien d’adhérents ?
Dans la Manche, c’est 250 adhérents et 1200 adhérents à l’échelle de la Normandie. Dans notre département, nous employons 21 salariés (soit 16,6 ETP).

Récemment l’Association des Paralysés de France est devenue l’APF France Handicap ?

Le changement de nom, c’est une volonté nationale. Le terme « paralysé » jugé péjoratif méritait d’être réinterrogé. L’idée était également de rappeler que l’APF ne se résume plus depuis longtemps au handicap lié au seul trouble moteur mais à d’autres troubles (malvoyants, malentendants, etc.). La question du handicap ne peut se limiter à une catégorie de personnes.

D’où cette idée de société inclusive ?
Nous militons pour inclure les personnes en situation de handicap dans la société. Les personnes en situation de handicap doivent disposer de la liberté que tout un chacun doit avoir dans la société. C’est-à-dire : « pouvoir agir, pouvoir choisir ». son mode de vie, ses activités, ses relations sociales, etc.

Son logement par exemple?
Une personne en situation de handicap dispose d’un choix extrêmement limité en terme de logement. Et le retour en arrière de ce gouvernement sur la loi Elan est incompréhensible. Si dans un immeuble, seul 10 % des logements sont accessibles, avec des ascenseurs à partir d’une construction de 4 étages, c’est encore moins de liberté de choisir. Vivre avec les autres, c’est la liberté de pouvoir aller chez les autres. C’est cette liberté-là qui est supprimée. Est-ce que vous choisissez vos amis en fonction de l’étage où ils habitent ? Moi oui, je suis obligé.

L’inaccessibilité empêche les personnes de « vivre leurs vies » ?
Les vies des personnes en situation de handicap ne sont pas des vies impossibles, mais souvent des vies empêchées. On parle beaucoup de développement de la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap, mais encore faut-il pouvoir se rendre chez les autres ? Idem, pour d’autres aspects du quotidien. A titre d’exemple : « vous habitez en centre ville, vous ne choisissez pas la boulangerie qui est la meilleure, mais celle qui est la plus accessible ».

Existe-t-il une problématique d’accessibilité dans nos zones rurales ?
Des problématiques de transport dans tout le département pénalisent les personnes en situation de handicap, surtout dans des communes isolées. Mais paradoxalement, ce sont en général les petites communes rurales qui ont fait le plus d’effort pour les aménagements. Elles proposent un bon niveau d’accessibilité aux vues de leur moyens et de leurs dimensions comparés à des grandes villes. Par exemple, vous circulez mieux à Hébecrevon, que dans le centre ville de Saint-Lô. Il me semble qu’il y ait une volonté des maires des zones rurales d’aménager leur cœur de bourg, avec une prise en compte des personnes vivant sur place, du fait de la proximité. Dans les grandes villes, souvent ces problématiques sont déléguées à des services, qui traitent ces questions-là, comme des dossiers techniques, « ce sont des dossiers comme les autres en quelque sorte ».

Est-ce que l’opinion publique est sensibilisée ?
L’opinion publique est nettement en avance sur les pouvoirs publics, sur la perception du handicap, des enjeux et de la nécessité d’inclure. Il n’y a plus aujourd’hui de peur du handicap ou de réticence. Nous sommes dans une société qui est accueillante. Par contre, il existe beaucoup de freins politiques, de certains groupes de pression et de lobbies.

Dans les deux ans, 13% de la population sera à mobilité réduite ?
Les enjeux sur l’accessibilité concernent toutes les familles. « Les personnes en situation de vieillissement et de moindre mobilité », c’est un sujet brûlant pour les années à venir. Nos aînés aujourd’hui, ceux âgés de 80 ans et + revendiquent assez peu cette volonté de vouloir se déplacer. « il y a une espèce de fatalité à être vieux et à ne pas bouger ». Je suis persuadé que les personnes qui ont aujourd’hui entre 50 et 60 ans, retraités dynamiques, voyageurs, qui dans vingt ans seront en situation de moindre mobilité exigeront ce droit à l’accessibilité. Cette population-là, on ne pourra la condamner à rester chez elle.

Cela pose aussi la question du maintien à domicile ?
On a toujours ce double discours, en disant que vivre en établissement ce n’est pas souhaitable, mais il faut donner les conditions favorables pour rester chez soi, à savoir un logement accessible et un environnement accessible. De fait, ces problématiques d’accessibilité, de mobilité, qui étaient celles de la personne en fauteuil roulant confrontée aux difficultés du quotidien seront demain, celles de tout le monde. Le handicap nous concerne tous !

Est-ce qu’il faut mieux accompagner la parentalité des personnes en situation de handicap ?
C’est un sujet essentiel. L’accompagnement en terme de parentalité pour les personnes en situation de handicap est insuffisant. il n’existe aucune aide sur cette thématique. Rien n’est fait pour encourager la parentalité. De même, rien n’est fait pour la prévention des conflits suite à l’arrivée de l’enfant. Quand la personne en situation de handicap ne peut pas aider son conjoint pour l’accueil du petit enfant notamment, c’est là un facteur de fragilité, de conflit. C’est faire reposer sur une seule personne la tâche du parent. Un accompagnement peut aider les choses et favoriser « ce bien vivre en couple ». il y a une négation de la parentalité, comme il y a une négation de la sexualité, mais aussi sur le fait de pouvoir vivre comme les autres, d’avoir un travail, et de bénéficier d’une formation. La parentalité, la sexualité, le travail restent des sujets tabous.

Et au niveau de l’emploi justement ?
La population en situation de handicap est la plus discriminée en terme d’emploi. Son taux de chômage est deux fois supérieur à la moyenne nationale.

Quelles en sont les raisons ?
Tout n’est pas de la faute de l’employeur. il y a un vrai problème à la base de formation. Majoritairement, les générations qui aujourd’hui recherchent un emploi, sont celles de la génération née au début des années 60, qui ont été peu ou pas formées ; parce que pas ou peu inclus à l’école. Les systèmes de formation après la formation initiale sont encore à mettre en place. il existe un problème d’accès au travail, avec une problématique de transport. Pour travailler aujourd’hui, il faut disposer d’un logement accessible, il faut pouvoir se rendre à son travail, il faut que les locaux de l’entreprise soient accessibles. Ce que l’on sait c’est que les personnes en situation de handicap ne sont pas moins productives ni plus absentes que la population ordinaire. Ça peut être parfois « un plus » pour l’entreprise, car l’arrivée d’un salarié « différent » peut apporter un autre regard dans l’entreprise sur le handicap. Ce sont tous les freins autour de l’accès à l’emploi qui compliquent la situation. La formation est l’un de ces premiers freins.

Cela commence dès l’école ?
Oui et on a beaucoup d’espoir dans le futur. Aujourd’hui, la scolarisation des personnes en situation de handicap a beaucoup progressé. C’est la nouvelle génération qui va faire bouger les lignes, j’en suis persuadé. On leur a expliqué depuis tout petit, qu’ils avaient les mêmes droits que tout le monde; maintenant adultes, il faut leur expliquer qu’ils n’ont plus le droit de travailler, d’avoir une vie de couple, d’habiter là ou ils veulent. Le mouvement de revendication ne va être que croissant.
Il faudrait que les politiques en aient conscience. La nouvelle génération est beaucoup plus revendicative. Les jeunes qui sont là aujourd’hui ont envie de faire des choses et veulent vivre comme tout un chacun. Ceux qui croient qu’on va s’en sortir avec « desmesurettes » se trompent.

Pourtant, vous constatez une baisse de l’engagement des jeunes ?
Les jeunes s’engagent moins dans nos associations car cela les ramène au handicap. Donc ils s’engagent le plus tard possible, une fois les études terminées, la vie de famille bien engagée. Lorsqu’on a passé un cap, on s’investit davantage pour les autres. La nouvelle génération veut vivre sa vie et ne pas se retrouver entre personnes en situation de handicap. Le handicap, ce n’est pas un hobby commun. On ne partage pas un hobby. Les gens ont envie de se retrouver ensemble pour partager une passion commune, pas pour partager leur handicap. De ce fait, l’habitat inclusif, le fait de pouvoir vivre chez soi est fondamental.

La vie en établissement a été un modèle proposé aux familles ?
il est l’encore. Souvent, il n’y a pas d’autres choix. il n’existe pas cinquante catégories de population qu’on oblige à vivre ensemble. Vous pouvez les compter, ce n’est pas difficile. il y en a trois: les personnes handicapées, les personnes âgées, et les détenu(e)s.

L’accompagnement des aidants, c’est un vrai enjeu ?
Oui, dont chacun a pris conscience assez récemment. Avec le vieillissement et les progrès de la science, on arrive sur une génération de soixantenaires, avec des parents aidants qui ont plus de 80 ans. Les personnes handicapées vieillissent avec leur famille, donc il y a un véritable enjeu autour de cela. De vraies situations de ruptures s’annoncent. A ce jour, il existe assez peu de systèmes de substitution pour les aidants, et de répit. Et le fait d’être aidé par d’autres que des proches, c’est un travail qui doit être accompagné très en amont.

La famille a-t-elle un rôle important à jouer ?
Heureusement qu’elle est là pour accompagner les personnes. Ceux qui n’ont pas de famille se trouvent de ce fait très isolés. Parfois placés contre leur gré en établissement. La situation du handicap, c’est aussi celle de l’isolement. Des personnes coupées de réseaux d’amis. C’est un des rôles de notre association que de proposer des activités, des sorties avec cette logique, de faciliter des activités dans la société. L’idée ce n’est pas créer pour quelqu’un qui veut faire de la photo, un club photo dans l’APF, mais d’aider ou d’accompagner la personne vers le club photo de son quartier.

On en revient à l’inclusion : c’est un terme nouveau ?
Depuis une quinzaine d’années, nos associations parlent d’inclusion, dans
le sens où on se dit qu’on ne peut pas « tout faire tout seul ». Ce n’est pas notre finalité de faire vivre les gens entre eux, mais plutôt de les amener à vivre avec les autres, ce qui implique une réciprocité.
Nous sommes aujourd’hui sur une dynamique assez positive, notamment avec le sport. Nombres de clubs sportifs ont réfléchi à l’accueil du handicap. Les clubs sportifs, ont bénéficié de financement avec cette objectif de l’inclusion. Beaucoup ont formé des moniteurs, pour avoir cette capacité à accueillir. Une ambition politique, qui a été suivie par une majorité d’associations. Le problème actuellement, c’est que ces clubs ne voient pas assez de personnes, certains ont investi dans du matériel pas ou assez peu utilisé.

Pourquoi ?
Souvent à cause des problèmes de transport et d’accessibilité. A cela s’ajoute une autre difficulté : à savoir que ce sont souvent des personnes qui ont des revenus très modestes. Ce n’est pas forcement le coût de l’adhésion qui pose problème mais les coûts induits par les transports ou l’ accompagnement parfois nécessaire. En situation de handicap, on a beaucoup d’autres problèmes à penser au quotidien, car le quotidien pour une personne handicapée est très compliqué. Donc il faut simplifier ce quotidien-là.

Les personnes handicapées sont elles précarisées ?
Toutes les personnes qui ne bénéficient que de l’allocation adulte handicapée vivent en dessous du seuil de pauvreté (1050 euros). Sachant que les personnes en situation de handicap ont des restes à charge, avec des frais de santé élevés qui pèsent lourdement sur leur budget. Les 1 euros en plus et les 50 centimes sont très importants pour ces personnes. Les coûts de mutuelles, les coûts d’acquisition de matériel, les coûts du quotidien, où vous n’avez pas forcement le choix du magasin sont des coûts qui pèsent énormément. Et cette pauvreté impacte la vie sociale. C’est une population qui vit une triple peine, parce qu’il lui faut gérer son handicap, des ressources financières souvent faibles et « un handicap social ».

infos pratiques : 

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