Association de l’UDAF
Habitat et humanisme
"Plusieurs génerations sous le même toit"

Reportage : faire vivre des personnes venues d’horizons divers mais aussi de générations différentes sous le même toit dans le but de recréer du lien social : c’est le projet innovant d’habitat et humanisme. cette association a créé la première résidence intergénérationnelle du département. inaugurée en 2018, la résidence « pierre et jeanne valot » regroupe vingt logements autonomes et accueille des personnes à revenus modestes : jeunes en difficulté, personnes en situation de handicap, personnes âgées isolées à très faible revenu, mais aussi des familles monoparentales. Basée sur le système de l’entraide, la maison « de toutes les générations » retisse le lien social et ouvre des horizons pour des personnes en situation de vulnérabilité, mais autonomes.
une grande demeure bourgeoise pour des personnes à revenus modestes !
Dans la Manche, située en plein coeur de Cherbourg, à quelques encablures du port, cette vaste demeure datant du XIXe siècle accueille des personnes aux revenus modestes. Surplombée d’un large belvédère, la propriété atteste du passé de celui qui l’a construite : un armateur cherbourgeois qui pouvait ainsi surveiller les bateaux qui entraient ou sortaient du port. Un havre de paix, entouré d’un hectare et demi « d’espace boisé classé », aménagé du temps d’Emmanuel Liais, une autre figure du paysage cherbourgeois. La maison sera ensuite acquise en 1930, par Jeanne et Pierre Valot, couple sans enfants, qui léguera sa propriété aux soeurs franciscaines, lesquelles occuperont les lieux jusqu’en 2012. L’association Habitat et Humanisme en fera l’acquisition quelques mois plus tard. Après 2 ans de travaux, elle y a créé une vingtaine de logements, dans le cadre de son projet d’insertionen permettant à des personnes à faibles ressources d’habiter des logements décents.
Quand le passé rencontre le présent !
Dans ce lieu chargé d’histoire, d’autres histoires se jouent au présent. Celles de mono-parents élevant seul(e)s leur(s) enfant(s), de jeunes adultes précarisés ou en rupture familiale mais aussi des personnes âgées désireuses de rompre leur isolement. Des histoires qui se conjuguent au présent mais aussi vers l’avenir, avec des passés qui ont souvent beaucoup souffert. Comme celui de Clara*, « qui en a bavé avec son ex mari » et qui vit avec sa fille de 4 ans, après avoir passé plusieurs mois au CHRS** de Cherbourg. « 18 mois*** pour se reconstruire quand on a été détruite pendant des années, ça ne fait pas beaucoup », explique le président d’Habitat et Humanisme, François Pepers. « Il faut donc des structures intermédiaires, qui fassent le lien pour redonner confiance à des personnes cabossées par la vie ».
* tous les prénoms sont des prénoms d’emprunts**Centre d’hébergement et de réadaption sociale**18 mois en moyenne, c’est l’hébergement maximumen CHRS
La résidence, c’est une ouverture sur l’avenir !
Dans ce lieu au passé riche, des fragments d’histoires se rencontrent et avancent doucement vers l’avenir : Jacques qui vivait isolé retrouve aujourd’hui une sociabilité oubliée et participe à des activités partagées. Pierre, qui après le décès de sa mère, à 18 ans, « a échappé à la rue » et a retrouvé un emploi grâce au soutien des équipes de l’association. Quant à Odette, elle vivait seule dans une campagne perdue, « elle renaît ici, en vivant une seconde vie ». Toutes ces histoires (et bien d’autres encore) racontent souvent un passé difficile qui s’ouvre aujourd’hui sur un futur « qui désormais autorise à voir autrement l’avenir ». « La résidence, c’est une ouverture sur un avenir autre, un espoir un peu retrouvé », ajoute François Pepers.
Le lien inter-générationnel comme moyen de reconstruction !
Au contact des autres, dans un environnement bienveillant, « les gens apprennent à se reconstruire à leur rythme ». Notamment dans un bâtiment mitoyen, qui sert de lieu d’activités et de rencontres. Clara y a rencontré Camille, « une autre maman comme elle ». « Elle me rend des services, elle garde ma fille de temps à autre ». Mais aussi Ibrahim, avec qui elle pratique les arts plastiques. Lui a vécu plusieurs années en Maison Relais. « Dans cette résidence, je me sens autonome, je peux gérer mes propres ressources ».
ici ce n’est pas un foyer, les gens sont locataires !
« Faire vivre plusieurs générations à faibles revenus sous le même toit », c’est le pari inclusif de l’association Habitat Humanisme Manche et de son président fondateur, François Pepers. Cet ancien directeur adjoint de la DCNS (aujourd’hui Naval Groupe), l’heure de la retraite arrivant, s’est consacré à la réinsertion sociale des personnes en difficulté. Avec d’autres acteurs de l’association, il a mis sur pied des solutions innovantes d’habitat inclusif. C’est ainsi qu’est née la maison Pierre et Jeanne Valot qui « accueille des personnes autonomes, à faibles ressources ». Au total, c’est une trentaine de personnes âgées de 20 à 65 ans toutes générations confondues, qui occupent 20 logements (T1, T2). « Ce sont des appartements, complètement indépendants, pensés dans un environnement sécurisé avec des badges magnétiques qui permettent l’ouverture des portes. « Nous ne sommes pas dans une logique de foyer, les gens sont locataires, ils signent un bail dans une agence immobilière ». Les loyers sont à des prix peu élevés. A peine 6 € du M2 ». Ils vont de 120 à 200 € /mois au maximum. Cette politique du prix bas, « c’est une volonté de l’association », elle s’inscrit dans le cadre d’un conventionnement avec l’ANAH, qui impose un plafonnement des loyers. La résidence répond également aux normes handicap. Cinq appartements au RDC, avec des aménagements spécifiques, accueillent des personnes à mobilité réduite.
un travail en réseau
Aujourd’hui tous les logements sont occupés en intégralité. « Il existe une liste d’attente, mais qui reste limitée » explique François Pepers. « Nous sommes sollicités à la fois, par les travailleurs sociaux de différentes structures, que ce soit l’UDAF, le CCAS de la ville de Cherbourg, le Foyer des jeunes travailleurs, l’ATMP, les CHRS Le cap, Louise Michel, etc… ». « C’est un véritable travail en réseau qui s’opère ».
un trait d’union pour la vraie vie !
« Notre problématique » explique François Pepers, « c’est d’accueillir des personnes, qui ont en commun leur situation d’isolement, la faiblesse de leurs revenus et qui sont en situation d’autonomie dans les gestes de la vie courante, notamment pour les personnes en situation de handicap ». « L’objectif essentiel est d’aider les personnes à se re-socialiser». Des objectifs souvent atteints. En témoigne, l’exemple de Michel qui après « 30 ans de rue » a pu réintégrer un logement HLM en centre ville, grâce à son passage à la résidence. « La maison a été le trait d’union vers son autonomie ». « Les aider à retrouver un emploi ou faciliter leur insertion professionnelle, c’est aussi une des missions de l’association », souligne François Pepers. Mouktar, grâce à des cours d’alphabétisation, accompagné de Sylvie, une des bénévoles d’Habitat et Humanisme, maîtrise désormais le français, « alors qu’il n’en parlait pas un mot lors de son arrivée à la résidence ». Tous les accompagnements sont personnalisés en lien avec les besoins des personnes. Une salariée à temps plein, dont les bureaux sont situés dans un bâtiment limitrophe, accompagne les résidents dans leurs démarches administratives, leurs recherches d’emploi. « Lorsqu’un locataire arrive, Karine Bonhomme reprend le dossier, fait le lien avec les différents professionnels ».


accompagner les publics en difficulté !
Karine Bonhomme, responsable du lieu, suit et accueille les résidents dès leur arrivée, telles, Clara et Maeva. Toutes les deux viennent du CHRS Louise Michel, qui accueille une centaine de femmes dont certaines avec des enfants, pour beaucoup victimes de violences conjugales. « Des jeunes mamans qui témoignent d’une envie de se réinsérer », après une période dans une vie douloureuse qui les en a fait sortir. Clara a fait des démarches pour travailler en ESAT, et suit un stage depuis son entrée dans la résidence. « Après 18 mois en foyer d’accueil, elle a la volonté de se réapproprier son logement » explique Karine Bonhomme. « Quand un logement vous appartient (ne seraitce qu’en location), il est plus facile de s’appartenir à soi même et de reprendre sa vie en main », ajoute François Pepers.
« pour adhérer au projet, il faut adhérer aux autres »
A tour de rôle, les locataires participent aux travaux collectifs. Le planning ménage est affiché dans toutes les parties communes. Parfois, il faut improviser « avec ceux qui sont absents ». Mais les résidents sont solidaires, ils se remplacent au pied levé. « Pour adhérer à ce projet social, il faut adhérer aux autres », ajoute le président d’Habitat et Humanisme. « Et pour favoriser ce lien social, on a créé des lieux de rencontres. Ainsi, au lieu de mettre un lave linge ou un sèche linge dans chaque appartement, on a créé une buanderie. Mais également une salle d’activité avec une cuisine collective ». Un lieu où on peut venir lire, prendre son café et même jouer sur un vieux piano en bois laqué, légué par les soeurs franciscaines, qu’un jeune résident a restauré durant son temps libre. Dans cette salle chaleureuse, décorée de dessins aux murs, les bénévoles de l’association y organisent des activités. Des activités qui sont toujours à caractère pédagogique : confectionner un repas, le servir… Les arts ne sont pas oubliés non plus. « Un art-thérapeute bénévole intervient pour aider les personnes à s’exprimer à travers le dessin », et puis un atelier vannerie est aussi organisé par des bénévoles de l’association.
Les bénévoles, au coeur de l’action
« Un hectare et demi à entretenir, ça fait du boulot ». Aidés des bénévoles de l’association, ce sont les locataires, qui entretiennent les parties communes, mais aussi les extérieurs, « un objectif étant de les impliquer le plus possible ». Un jardin partagé a été créé, à l’abri des grands arbres qui dominent la propriété. « La démarche pédagogique », explique François Pepers, « c’est de leur montrer que ça ne pousse pas tout seul, et qu’en plus, c’est sympa de manger ses propres légumes ». Avec les bénévoles, un apprentissage se fait mais une histoire se tisse. Les rapports sont chaleureux. « Hervé a fini de monter vos meubles », indique François Pepers à Marlène, qui revient du travail (ici la moitié des personnes sont en situation d’emploi ou suivent une formation).
« apprendre des autres vies ! »
Hervé, « le monsieur bricolage » du lieu comme il se baptise, coordonne l’ensemble des travaux sur la propriété. Adhérent depuis juin à l’association, il compte parmi les 50 bénévoles actifs d’Habitat et Humanisme. « Dans son ancienne vie », il travaillait dans la construction navale. « A la retraite, j’ai eu envie de me rendre utile ». Hervé, qui « voyageait beaucoup dans son boulot avec de nombreux déplacements à travers le monde », avoue qu’il voyage aussi beaucoup avec les résidents, « quand j’interviens chez des personnes pour des réparations, j’apprends beaucoup de leur vie ». Hervé donne des petits coups de main aux locataires, « monte des meubles, pose des étagères, surtout pour les femmes seules et les personnes âgées ou des résidents qui ne sont pas des bricoleurs nés ». Il vient suivant la demande et les situations d’urgence. « Pas de permanence », mais il a mis à disposition dans l’espace buanderie, un petit cahier à spirale avec des fiches descriptives, ou chaque résident peut y inscrire ses demandes. « Un compteur qui a sauté, un évier bouché, une armoire à déplacer ». Hervé est au chevet des résidents, « se sentir utile, ça donne du sens à votre action ».
Le bénévolat, c’est pas pour retrouver les contraintes du boulot !
Quand on l’interroge sur son engagement associatif et le désintérêt général, pour l’engagement associatif durable, Hervé a les idées claires et la lucidité. « Dans le bénévolat, il faut trouver un juste équilibre entre le temps pour soi et celui pour les autres », et surtout « pas de rapports de hiérarchie ». Le bénévolat, on ne le fait pas pour retrouver ce qu’on a quitté dans le travail, pour retrouver des horaires, des plannings, ou des “deadlines”. » A Habitat et Humanisme, les bénévoles travaillent ensemble, ils sont solidaires. Ils travaillent parfois à plusieurs quand cela est nécessaire. « Chacun vient avec son matériel, ses propres outils, sa scie sauteuse ». « C’est pas le grand luxe, mais on se débrouille avec ce qu’on a ».
Entrer dans la différence des autres, pour sortir de la sienne !
« L’attention aux autres », ces « maîtres-mots pourraient être incrustés sur le grand portail en fer forgé, à l’entrée de la propriété. Que ce soit entre bénévoles, ou entre les locataires, les personnes « sont attentives les unes aux autres ». Une TV à transporter, une ampoule à changer, un peu de sel à prêter pour le potage. Les locataires se rendent mutuellement des services. Ici, le voisinage ce n’est pas un problème, « les gens cohabitent bien ensemble ». Mais l’intégration des personnes se travaille en amont. Ici, on n’attend pas les pots de départs, pour connaître les gens. Dès leur arrivée, les nouveaux arrivants sont présentés lors d’un café ou d’un goûter partagé ». « On met l’accent sur l’interconnaissance », ajoute Karine Bonhomme. A la résidence, tout est force d’anticipation. Pas d’effet de surprise, « l’arrivée d’un nouveau locataire est systématiquement préparée, les nouvelles admissions sont annoncées, lors du comité des locataires. Les nouveaux arrivants sont source de beaucoup de questionnement : « qui sont ces nouveaux, d’où viennent-ils, quel âge ont-ils ? ». À la résidence, les gens sont tous différents, mais pour autant ils sont tous en osmose. « La différence fait parfois peur mais quand elle est parlée et confrontée, à la leur, elle devient une force. »
co-construire avec les résidents !
Chaque mois, les locataires se réunissent pour échanger sur le fonctionnement du lieu. « Sur ce qui va, ou ce qui ne va pas, ou ce qui pourrait être améliorable ». Pour ceux qui appréhendent l’exercice oral, « une boîte à propositions », audessus du piano droit, en accès libre et anonyme, « se propose de recueillir leurs doléances ». « L’idée est aussi d’échanger sur ce qu’ils ont envie de faire, quelles activités ils souhaitent partager. Ils sont très demandeurs ! »
« Organiser des temps de convivialité !
De nombreuses sorties sont organisées. Au bowling, à la piscine, à la maison de quartier Françoise Giroud, « à quelques pâtés de maisons de là ». « Nous développons également des activités avec les autres structures de notre association comme la maison relais Julie Postel mais aussi notre unité de vie « OASIS » qui accueillent des personnes âgées en situation de handicap mental ». Les résidents que l’on accompagne dans nos autres structures viennent profiter du parc et participent à des ateliers d’Art-thérapie. Le lieu est utilisé comme un espace social, « ça oblige aussi à s’ouvrir à d’autres personnes et de favoriser des traits d’union entre les structures ». C’est le cas d’Ibrahim qui était auparavant en maison relais, et qui a intégré la maison Pierre et Jeanne Valot, en 2018. « Pour lui, c’est une vraie avancée vers l’autonomie ». L’idée est d’avoir le plus possible des structures intermédiaires.
un projet d’extension pour accueillir davantage de familles monoparentales.
Le lieu qui affiche complet, veut continuer à grandir. Un projet d’extension vise à créer 6 T3, pour accueillir des familles monoparentales, avec plusieurs enfants, et des personnes âgées qui ont besoin davantage d’espace. « Elles veulent souvent conserver leurs meubles, vous ne les mettez pas dans un studio. Les personnes âgées veulent pouvoir accueillir leurs enfants, leurs petits enfants… il y a aussi des familles monoparentales, qu’on aimerait pouvoir accueillir davantage ».

infos pratiques :
HABITAT ET HUMANISME 50
54 rue de la Bucaille
50100 Cherbourg-en-Cotentin
02 33 9473 17 – manche@habitat-humanisme.org
https://www.habitat-humanisme.org/associations/habitat-humanisme-manche/
