Dossier
Les pères solos
Après la séparation...
La place du père: Depuis 20 ans, la proportion de pères à la tête de ménages monoparentaux a été multipliée par deux. L’occasion de revenir avec Sébastien Dupont, thérapeute familial et chercheur à l’Université de Strasbourg, sur les pères solos et la place du père en général, après la séparation.
Y a-t-il de plus en plus de pères mono parents ?
S.D : Depuis 20 ans, la proportion de pères à la tête de ménages monoparentaux a été multipliée par deux. Les mentalités changent progressivement, avec le combat des pères, l’autorité parentale conjointe, la résidence alternée, etc. Tous ces facteurs conjugués ont fait en sorte que les ménages monoparentaux tenus par des pères sont en constante augmentation.
Les pères solos sont-ils reconnus dans leurs compétences ?
S.D : Beaucoup de ces pères souffrent de l’impression que la société les reconnait peu dans leurs compétences éducatives. Autant la société accepte bien le fait qu’une mère seule puisse élever ses enfants, autant il est souvent renvoyé au père isolé l’idée qu’il n’a pas toutes les compétences requises et cela d’autant plus que les enfants sont petits (cette situation est mieux acceptée quand les enfants sont adolescents). Le père souffre de ce regard et aussi d’un isolement un peu redoublé, parce que les mères sont statistiquement plus compétentes pour créer des réseaux de solidarité et particulièrement de solidarité familiale, avec leurs propres mères, avec leurs soeurs, etc. Si bien que les pères peuvent se retrouver dans une situation de plus grand isolement.
Les hommes douteraient-ils de leurs compétences éducatives ?
Dans les situations de résidence alternée, c’est généralement la mère qui reste le régisseur de la vie de l’enfant : les rendez-vous médicaux, l’inscription au cours de sport, l’organisation de l’anniversaire… Dans la plupart des cas et y compris après la séparation, la mère reste le “chef d’orchestre” et le père l’“assistant”. Elle adresse des messages au père pour lui rappeler le programme de la semaine, pour lui indiquer les démarches administratives à faire, les médicaments à prendre, etc. Beaucoup de pères disent souffrir de cette position seconde. Certains se plaignent de se sentir moins importants aux yeux de leurs enfants, même s’ils participent de fait souvent à cette répartition des rôles.
A ce sujet, vous dites aussi que les pères sont moins impliqués dans la petite enfance des enfants?
C’est souvent à ce moment-là qu’ils “ratent le train”. C’est la mère, dans la très grande majorité des cas, qui s’occupe principalement des enfants dans la petite enfance. C’est notamment elle qui pose un congé parental ou qui réduit son temps de travail. C’est à cette période qu’elle tisse des liens très forts avec ses enfants, alors que le père s’installe à une place seconde, parfois avec le sentiment d’être un peu en périphérie de la famille. Lorsqu’il y a séparation, c’est encore plus difficile pour lui de rattraper ce lien et de se sentir aussi proche de ses enfants que
peut l’être la mère. À l’inverse, lorsque le père est impliqué dans la petite enfance et que le lien se tisse très tôt, le risque de perdre ce lien en cas de séparation devient minime.
A Lire
La famille aujourd’hui.
Entre tradition et modernité.
Sébastien Dupont. Editions
sciences humaines. 2017

Pourquoi le père ne prend pas toujours cette place-là ?
Plusieurs explications évidemment, dont certaines relèvent de la culture et de l’éducation. On est encore dans un monde qui considère que les pères doivent avant tout travailler et aider les mères, qui ont pour charge de s’occuper des enfants en bas âge. Statiquement, les femmes choisissent davantage que les hommes des métiers compatibles avec la vie de famille, voire des métiers qui ont exactement les mêmes horaires que les enfants (institutrice, professeur de collège…). La répartition des rôles repose souvent sur un choix de couple: la mère réduit son temps de travail, en fonction des besoins de l’enfant mais aussi du travail de son conjoint. La famille peut ainsi trouver un certain équilibre. Par contre, en cas de séparation, ces choix, qui s’inscrivaient dans la complémentarité, peuvent devenir problématiques.
Vous dites que “le congé paternité stimulerait l’investissement affectif du père envers son enfant” ? Faut-il le rendre obligatoire ?
La question de savoir s’il faut le rendre obligatoire ou non relève davantage des politiques familiales et n’est pas de mon ressort. Peut-être que cela serait intéressant dans le domaine de l’entreprise. Car en effet, dans le secteur privé, beaucoup de pères souhaiteraient le prendre mais ne le peuvent pas. Les représentations traditionnelles perdurent: on considère que l’homme doit se consacrer à sa carrière. S’il était obligatoire, peutêtre que cela permettrait que les représentations et les mentalités changent.
La place du père est-elle encore plus difficile à trouver après la séparation?
40% des enfants ne voient plus leur père ou rarement après la séparation. Il existe une multitude de facteurs qui expliquent le délitement du lien. Mais le facteur dont on parle le moins est la corrélation assez forte entre les pères qui ont eux-mêmes perdu contact avec leur propre père. C’est une répétition qui s’explique par le fait qu’ils n’ont pas d’images de ce que c’est qu’un père. Ce grand manque de modèle finit par les mettre en insécurité et le lien avec leur enfant devient plus vulnérable. L’autre facteur, c’est que la garde minoritaire se traduit le plus souvent par le fait de vivre principalement des moments de loisirs. Du point de vue des enfants, ce n’est pas la vraie vie, c’est un peu comme s’ils allaient chez un oncle. La vraie vie c’est :
les matins d’école, les petites maladies, les problèmes de tous les jours, les devoirs du soir, les cauchemars la nuit… Si un père séparé peut vivre un peu le quotidien ordinaire, avec ses bons et ses mauvais côtés, cela donnera à l’enfant le sentiment que son père s’occupe de lui. Le lien d’attachement est avant tout un lien ou l’enfant à l’impression qu’on prend soin de lui, qu’on se réveille la nuit pour lui, etc.
Quand le père a la résidence minoritaire, comment peut-il s’impliquer?
Il paraît important que le père réussisse à s’impliquer dans toutes dimensions qui concernent la vie de l’enfant : les rendez vous médicaux, les devoirs à la maison, les rencontres parents/profs, les histoires avec les copains-copines, accompagner une sortie de l’école pour rencontrer les nouveaux camarades, etc. Cela permet à l’enfant de voir que son père s’intéresse à tous les aspects de sa vie. Cela implique évidemment en amont un dialogue entre parents séparés et une bonne entente au sein de l’“équipe parentale”. Sans dialogue, il ne peut y avoir de confiance et de coparentalité possible. Chacun doit laisser à l’autre parent la possibilité de jouer son rôle parental, et ceci dans l’intérêt de l’enfant.
Justement, que pensez vous de la médiation familiale pour réinstaurer ce dialogue perdu ?
La médiation familiale devrait être davantage encouragée. Dans certains pays, elle est obligatoire. En Norvège par exemple, avant de déposer un dossier de divorce au tribunal, les couples doivent faire six séances obligatoires de médiation. Le législateur les encourage ainsi à trouver eux-mêmes un accord amiable, à ne pas commencer une guerre judiciaire par avocats interposés. Cela a donné des résultats très positifs, notamment parce que la médiation familiale est mise en place au tout début, avant que le conflit ne s’enlise. Quand les griefs s’accumulent, la médiation devient moins efficace voire même impossible. Le fait de la rendre obligatoire permet aussi de ne pas avoir à la demander. Très souvent, une médiation familiale n’a pas lieu parce qu’elle est sollicitée par un seul parent et que l’autre s’y oppose, comme il s’oppose à ses autres demandes.