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ET SI LA NOTION DE PERTE D'AUTONOMIE NOUS JOUAIT DES TOURS ?

Interview: Michel Billé est sociologue et conférencier spécialisé dans les questions relatives aux handicaps, à la vieillesse et à la transformation des structures familiales. Selon lui, nous avons tendance à confondre perte d’indépendance et perte d’autonomie. 

Qu’est-ce qui caractérise selon vous, la perte d’autonomie des personnes âgées ?

Michel Billé :  Cette notion de perte d’autonomie nous joue des tours… Nous confondons le plus souvent perte d’indépendance et perte d’autonomie. Il arrive que, pour des raisons multiples, nous ne puissions plus faire seul. La personne perd alors son indépendance, devient dépendante d’un entourage matériel, humain (financier, même). Pour autant, elle n’a pas forcément perdu son autonomie, c’est à dire sa faculté à décider pour elle-même, s’agissant de sa vie. Le drame c’est que, souvent, au motif ou au prétexte de prendre en charge la dépendance de quelqu’un, on spolie la personne de son autonomie… C’est la distinction que nous avons à faire entre indépendance et autonomie qui peut, je crois, nous aider à soutenir la personne comme elle est en droit de l’espérer sans pour autant détruire son autonomie ou la forcer à y renoncer. Nous savons bien que les situations sont nombreuses dans lesquelles les personnes souffrent de cette confusion entre ces deux notions.

La perte d’autonomie de la personne âgée, peut-elle amener à des conflits au sein des familles ?

M. B. : Ces situations, dramatiques parfois, ne sont pas vécues tout à fait de la même manière par les uns et les autres, en fonction de nos histoires personnelles, de nos rencontres, de nos trajectoires propres… Ces écarts peuvent alors engendrer des conflits qui viennent se surajouter auxdifficultés de la situation. Le fils et la fille n’évaluent pas la situation de la même manière, l’un veut bien payer, l’autre non ou n’a pas les moyens de contribuer aux dépenses… Les conflits sont donc à la fois affectifs, financiers, philosophiques, ils peuvent devenir très envahissants, et s’infiltrer jusque dans la vie personnelle, la vie de couple des uns et des autres. C’est tout un réseau familial et une constellation familiale qui peuvent en être affectés.

A LIRE

La société malade d’Alzheimer,
Michel Billé, éd. Eres, mai 2014.

Dépendance quand tu nous tiens !
Michel Billé, avec D. Martz et MF.
Bonicel. éd. Eres. fév. 2014.

La médiation familiale peut-t-elle être un recours ?

M. B. : La médiation familiale peut alors jouer un rôle important pour permettre que se rétablisse un dialogue fructueux. Mais il s’agit là d’une médiation familiale qui doit pouvoir intervenir dans le lien entre plusieurs générations (médiation
intergénérationnelle) ce qui complique certainement les choses. Les représentations de la maladie, du handicap, de la vieillesse ne sont pas identiques d’une génération à l’autre. Les exigences des uns et des autres ne sont pas les mêmes et surtout, les places, les statuts des uns et des autres ne sont pas les mêmes d’une génération à l’autre. La manière de concevoir la partition des rôles homme-femme, en particulier se transforme très profondément. Et puis nos histoires de vie, nous conduisent à d’éventuels conflits de loyauté avec lesquels nous avons parfois du mal à vivre sereinement

La perte d’autonomie de nos aînés, nous interroge-t-elle sur nos propres vies ?

M. B. : Il me semble, que les personnes qui, vieillissant, rencontrent des difficultés sur le registre de la santé, de l’indépendance, de l’organisation de leur vie quotidienne nous interrogent, presque silencieusement parfois, sur la manière dont nous-mêmes nous concevons et organisons nos vies, c’est vrai de nos vies de couple, c’est vrai de nos vies professionnelles, familiales, sociales. C’est peut-être parce que ces questions nous dérangent, nous déstabilisent, que nous supportons parfois si mal ceux qui nous les posent ! Ils nous rendent pourtant, en nous interrogeant de la sorte un service inestimable.